J’ai été barman au café Fluctuat Nec Mergitur à Paris durant l’hiver 2019-2020, embauché par Lalla Kowska Reigner. Ce lieu tout en verre se trouve au milieu de la place de la République. On m’a proposé d’orner les vitres du café, pour lequel j’ai proposé une série de soies tendues comme des vitraux. La fermeture du café à la suite du confinement n’a pas permis de les installer in situ.
L’hiver 2019-2020 particulièrement riche en manifestations, l’emplacement du café, attirait une clientèle politisée et joyeuse avec qui j’ai partagé des discussions. Leur sociabilité et leur sollicitude créaient une solidarité humaine dépouillée des postures. J’ai choisi d’en faire le sujet dans mes peintures.
Sensibilisé par la sincérité de leurs luttes et la joie collective, je les accompagne le 13 juin 2020 lors d’une manifestation contre le racisme et les violences policières. Sans grande expérience des manifestations, je me trouve piégé par les CRS sans comprendre leurs intentions. Malgré mon calme ils finissent par me tabasser et me trainer au sol. S’en suivra une garde à vue de 48h, suivi d’un déferrement au parquet qui va ajouter 20h de plus. J’apprends qu’on m’accuse d’avoir agressé un policier avec une bouteille en verre soutenant qu’une vidéo en témoignerait (que je n’ai jamais pu voir). Se tisse avec mes camarades d’incarcération une solidarité puissante et purement orale qui m’ont permis de tenir psychologiquement durant cette épreuve. Nous avons été tous profilés, noirs, arabes et défavorisés, j’ai été pris pour un islamiste selon leurs dires et ceux de mon avocat. Après trois jours d’incarcération j’ai été relâché avec un rappel à la loi sous la fausse accusation de CRS, m’obligeant à être irréprochable pendant six ans, sous peine d’être jugé sévèrement. Il me reste de cette expérience ce sentiment de solidarité qui ne m’a plus quitté après la sidération et le traumatisme.
En rentrant je décide d’utiliser mes peintures sur mon balcon, parmi les draps des autres balcons où sont écrit nos revendications durant le confinement de 2020. Lors de mon exposition au Salon du Salon à Marseille, je choisi de les présenter sur le balcon, espace transitionnel entre le domestique et l’espace public où Zineb Redouane a été assassinée par les CRS.